PRESS

Sugar Sammy fait un tabac sans filtre

by Sacha Reins
2017-04-08
Source File

Enorme star au Canada, Sugar Sammy a décidé il y a un an de se faire un nom en France et s'est installé en immersion à Paris pour préparer ce nouveau ­combat. Non, il n'est pas boxeur comme son pseudonyme et son gabarit (1,91 mètre, une carrure d'athlète) pourraient le laisser croire, mais humoriste. Il fait du stand-up très saupoudré d'impros et son « entraînement » consistait tout simplement à nous observer, à comprendre et à intégrer notre façon de penser, à attraper nos tics comportementaux pour nous les servir en spectacle. 

Samir Khullar dit Sugar Sammy, né à Montréal il y a quarante et un ans, est d'origine indienne et cela lui permet de surfer très joyeusement sur les sujets toujours délicats du racisme, des coutumes ethniques, de l'intégration, des migrants. Le politiquement correct, il ne connaît pas. Il entame avec les spectateurs des joutes hilarantes qui pourraient être tendues si elles n'étaient pas désamorcées par son humour et sa gentillesse naturelle. « J'ai toujours trouvé qu'il y avait beaucoup de parallèles entre la vie d'un boxeur et celle d'un humoriste. On est seul face à la gloire ou à l'échec public. Il faut s'entraîner, avoir une discipline d'écriture, courir les scènes ouvertes pour pratiquer, se roder, il faut endurer cela des années avant de pouvoir espérer réussir. » Une discipline qui n'est pas sans ­rappeler celle des rappeurs telle qu'elle nous fut racontée par Eminem dans "8 Mile".

Sugar a 8 ans quand il a su ce qu'il voulait devenir : « J'ai vu la VHS de “Delirious” d'Eddie Murphy [googlisez “VHS” si vous ne connaissez pas], c'était cela que je souhaitais faire. Je m'y suis mis pratiquement immédiatement, je suis passé pro à 19 ans, j'ai eu du succès à 28. Il faut être fou pour continuer dix ans sans succès. » A Paris, le sien est arrivé assez rapidement, alimenté par un bouche-à-oreille et des réseaux sociaux très positifs. 

Il est étonnant en scène, constamment en hors-piste, allant chercher les spectateurs sur les terrains les plus dangereux. « Est-ce qu'il y a des Noirs ce soir parmi nous ? » Silence et rires un peu gênés, on scanne discrètement ses voisins. Il en repère un. « Aaah, lui, il s'imagine qu'en ne me regardant pas je ne vais pas le voir. » Les rires se libèrent, dont ceux du malheureux qui a ­compris qu'il n'y coupera pas. « Mon humour est très conversationnel, il faut que cela soit fluide, dit Sugar. T'es foutu, t'inventes rien de nouveau quand tu restes dans le cadre ­prédéfini par les humoristes passés avant toi. J'ai eu des ennuis au Québec, mais je ne peux pas écrire en mettant un filtre ou avec un pied sur le frein. Ce qui choque va devenir le nouveau normal demain. »

Sugar Sammy déclare avoir été influencé par deux écoles très distinctes, l'humour noir américain de Dave Chappelle et Chris Rock et celui très britannique de Ricky Gervais et Sacha Baron Cohen. Il fait cependant quelque chose dont ils sont incapables : il donne ses spectacles en quatre langues : anglais, français, indi et pendjabi. Et joue partout à travers le monde. « Il n'y a pas un public plus difficile qu'un autre, ils sont différents. Aux Etats-Unis, ils aiment vraiment participer, un peu trop même. Dans certains Etats, la fierté d'être américain peut les rendre très susceptibles. En France, il y a une pudeur à ne pas vouloir participer : vous êtes ­frileux et vite gênés. Au Canada, nous sommes entre les influences américaines et françaises. En Arabie saoudite et au Moyen-Orient ? Je parle de la censure, du droit des femmes mais en même temps je booke mon vol pour filer juste après le spectacle. La ­plupart des peuples sont ouverts à l'humour, c'est une façon de se libérer des tabous qui sont difficiles à affronter. »

A l'Européen jusqu'au 29 avril.

Cliquez sur Fichier source au haut de la bas pour accéder à l'article orginial imprimé.