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Sugar Sammy, comment la star de l'humour québécois a conquis la France

by Rossana Di Vincenzo
2017-04-13
Source File

Un humoriste québécois qui vient jusqu'ici se moquer de nos petits défauts minables, il n'y a que les Parisiens pour en redemander. Rencontre avec cette star du stand-up au charisme désarmant et aux punchlines bien senties, à voir sur la scène du Théâtre de l'Européen.

Il y a encore quelques mois, personne ici ou presque ne connaissait le nom de Sugar Sammy. Aujourd'hui ce stand-upper québécois d'origine indienne, squatte les « 4x3 » un peu partout dans le métro et les colonnes Morris de la capitale. Car à 40 ans, Samir Khular de son vrai nom, véritable star de l'humour outre-Atlantique et plus particulièrement au Québec où il joue à guichets fermés est « tombé en amour » avec la France. Adepte du « roasting » à l'américaine (technique de pointer du doigt frontalement les sujets qui fâchent), fan absolu d'Eddy Murphy - « à 9-10 ans j'ai vu Delirious d'Eddy Murphy. j'ai dû le regarder au moins 6 fois de suite, ce jour-là, j'ai su que c'était ce que je voulais faire pour le reste de ma vie » - virtuose de la punchline, du rythme et de l'impro avec le public, ce grand gaillard d'1,90m a décidé de se lancer un nouveau défi, écrire un show  spécialement pour « nous autres », habitants de la France, son « pays arabe préféré » ! Un Tabernak ! Ca va faire mal ! 

Vous êtes une superstar dans toute l'Amérique du Nord. Pourquoi vous produire en France où personne ne vous connaît...

C'était la suite logique pour moi après le Québec. Pour la dernière date de mon dernier spectacle, j'ai joué devant 115 000 personnes durant le festival « Juste Pour Rire » de MONTRÉAL. C'était incroyable, on ne pouvait plus faire rentrer personne sur la place du Festival, d'ailleurs je ne pouvais même pas rentrer sur mon propre spectacle (rires). J'aurais pu continuer comme ça, faire un ou deux spectacles de plus, mais j'ai eu envie d'autre chose. J'ai voulu retrouver une faim d'écrire, de monter sur scène tous les jours, comme à mes débuts. L'autre raison, c'est que je m'intéresse à la culture française ; ado, j'écoutais votre hip-hop des années 1990, les NTM, IAM, MC Solaar ; j'étais curieux, je voulais écrire sur vous, mieux vous connaître. Et il y a de la matière ici, beaucoup de tensions sociales, raciales, politiques, des coutumes différentes. C'était une véritable envie de venir et de vous « subir » pendant un an et demi (rires) !

Comment écrit-on un spectacle « spécialement pour les Français » quand on est québécois ?

J'ai écrit ce spectacle en observant, en vivant avec les Parisiens depuis huit mois. C'est très important pour un humoriste de pouvoir observer sans être vu. Sur scène, je ne raconte que des situations vécues. Ensuite, j'ai fait beaucoup de scènes ouvertes à Paris, des shows en province, pour ne garder que ce qui marchait. L'humour, c'est la forme d'art la plus interactive, tu sais tout de suite si ça marche. Chez nous, on a une expression qui dit « un producteur est aussi bon que son dernier spectacle » et bien en humour, pour le public, tu es aussi bon que ta dernière vanne.

Vous faites du stand-up à l'américaine, du « roasting », vous passez sur le gril les clichés sur les Français en interpellant le public et en ne l'épargnant sur aucun sujet (sexe, terrorisme, racisme...). Comment réagissent les Parisiens ?

J'imagine ce qu'ils doivent penser, un Québécois d'origine indienne qui leur parle de leurs travers, c'est beaucoup (rires) ! Mon spectacle, c'est ma vision de citoyen, une critique honnête et sévère de la France d'aujourd'hui. Avec le « roast », la base de mon humour, tu pointes du doigt la société, ou une personne, mais toujours avec bienveillance. Quand je parle frontalement de racisme ou de l'Occupation, le challenge, c'est de le faire de manière légère, sans être donneur de leçons. Plus j'en parle, plus les gens se détendent, c'est comme une conversation entre amis. En fait, je viens parler avec quatre cents potes !

Quelles sont les plus grosses différences entre le stand up anglais et français : le texte, le rythme ? 

Quand j'ai commencé au Québec, on me reprochait souvent de ne pas avoir de mise en scène, que le travail ne se voyait pas. Pour moi, c'est l'inverse qui est intéressant dans le stand up : quand ça a l'air facile, c'est là que l'artiste fait un travail monstrueux. Chris Rock, Dave Chappelle, Bill Burr ou Eddy Murphy - qui pour moi reste une légende -, sont les meilleurs dans le domaine. J'ai grandi en regardant ces stand uppers américains, c'est grâce à eux que la flamme s'est allumée en moi et d'ailleurs, quand j'ai commencé j'écrivais en anglais. Il y a un vrai  rythme d'écriture et de punchlines.

J'écris tous les jours et une ou deux fois par semaine, je suis sur scène pour tester de nouvelles choses dans tous les comedy club possibles de la capitale, pour voir si mon idée fonctionne. Mais la chose la plus importante selon moi, c'est de constater que les spectateurs sont là, de briser le 4e mur. Je construis mon  spectacle avec le public tous les soirs et c'est à chaque fois différent. C'est un plaisir d'improviser, trouver des vannes qui n'existeront que le temps d'une soirée, c'est un challenge, Je me sens un peu comme un musicien qui ferait un freestyle en plus de sa set list.  

Après un an et demi passé ici, avez-vous fini par adopter certains clichés parisiens ?

Non, mais je me débrouille mieux. J'ai toujours cet automatisme du Canadien un peu trop gentil... Mais, en Amérique du Nord, il y a beaucoup d'amitiés de surface. Les Parisiens semblent froids, mais dès qu'ils s'attachent à toi, c'est pour la vie et j'adore ça ! Mais je vais attendre un peu avant d'écrire là-dessus ; c'est trop gentil (rires).

Louis C.K. a fait deux dates sold out l'été dernier, Jim Gaffighan débarque fin avril à Paris, les stand-uppers d'Amérique du Nord s'intéressent enfin à la France, vous arrivez au bon moment finalement ? 

C'est une coîncidence totale ! Je parle quatre langues, punjabi, hindi, anglais et français, ça m'ouvre forcément beaucoup de portes (rires). Plus sérieusement, il n'y a aucun calcul, si je pouvais je serais sur scène tous les jours. Je n'ai jamais fait de l'humour avec l'idée de faire autre chose de ma vie ensuite, comme certains humoristes font ça pour faire du cinéma par la suite. Je vis mon rêve en ce moment, être sur scène et écrire, ce sont les choses dont je suis le plus fier. Pour moi, l'idée de venir ici n'était pas uniquement de développer un nouveau public, je voulais voir jusqu'où je pouvais pousser mes capacités. C'est une chance d'être sur scène tous les jours et je l'apprécie d'autant plus que je sais ce que c'est que de jouer devant une salle vide. Ca fait 22 ans que je fais ça, j'ai joué pendant 10 ans sans avoir de succès. 

Vous êtes quatre soirs par semaine à L'Européen, et aussi sur de nombreuses scènes ouvertes... Vous allez rester, avouez-le !

Tout ce travail pour écrire sur vous, c'est sûr, je ne vais pas repartir tout de suite ! Je m'amuse trop ici... C'est le but de tout humoriste : avoir un public qui a hâte d'entendre ce qu'il a à dire. J'ai l'impression que je suis en train de gagner les Français un par un ! J'aime cette salle, la scène est tellement grande, j'aime prendre possession de l'espace. C'est aussi pour moi, le seul endroit à Paris où je peux m'étendre, étirer mes bras, sans renverser un verre ou frapper quelqu'un par accident (rires) ! De toute façon, pour moi, c'est clair, j'ai prévu de rester ici jusqu'à ce qu'on me foute dehors... Enfin, jusqu'à ce que Marine Le Pen me foute dehors ! 

 

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